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Jonas Mekas est né en Lituanie, et fuit aux États-Unis en 1949 avec son frère. Deux semaines après son arrivée, il achète une caméra Bolex 16mm et commence à filmer ce qui l’entoure : la vie, les amis, les fleurs, les routes… Il assemble ces images entre elles pour produire des films impressionnistes, parfois abstraits, avec une rythmique très rapide.

Dans son premier journal filmé, 'Walden', sorti en 1969, il invente une forme de « journal intime filmé » qu’il poursuit dans ses films suivants : 'Reminiscences of a Journey to Lithuania', en 1972 ou 'Lost, Lost, Lost' en 1976 ou encore 'As I Was Moving Ahead Occasionally I Saw Brief Glimpses of Beauty', en 2000. L’enjeu pour Mekas n’est pas de représenter certaines choses, mais plutôt de donner à sentir certains gestes, son attention qui se déploie dans le monde. C’est un des exemples que prend Richard Bégin pour penser la « mobilographie » : Mekas ne représente pas le mouvement, il inscrit le mouvement.

Jonas Mekas :
« Je ne fais pas vraiment des films : je filme simplement. Je suis un filmeur, pas un cinéaste. [...] Cinéma vérité ? On a utilisé ce terme pour désigner un certain style, une certaine façon de filmer la “vie réelle”, des films qui s’occupent en général de sujets de société. Le cinéma vérité vient de l’intérêt suscité par l’apparition de caméras légères sonores et portatives. C’est Jean Rouch et Richard Leacock et beaucoup d’autres. Ils ont fait des films d’intérêt social ou anthropologique, de grands films. Mais je suis ailleurs. Mes films ne présentent absolument aucun intérêt pour la société. Ils sont complètement inutiles à la société. »

C’est la même posture que défend un autre cinéaste, Johan Van der Keuken, qui se met à distance du style « documentaire » car ce qu’il veut documenter, comme Jonas Mekas et comme Alain Cavalier, c’est bien, dit-il, « une présence physique, non seulement celle de l’autre mais la mienne propre », le plus important est pour lui « de documenter le fait qu’on était là et comment ».

La possibilité de filmer la vie quotidienne est de la partager se développe avec des caméras encore plus légères, moins couteuses et facile d’utilisation comme le format DV en 1996 qui est utilisé par Alain Cavalier.
02/11/2020

Cours 5
Le journal filmé
Nous sommes en distanciel pour l'ensemble du groupe.
Beaucoup d'étudiants n'ont pas pu m'envoyer dans les temps leurs images, ce qui nous ralentit dans la progression du semestre.

Pour cette séance nous allons donc rester dans des considérations plus théoriques et moins pratiques, le temps de nous réajuster avec les nouvelles mesures du confinement.
GROUPE B : 9h
Rendez-vous à 9h sur l’interface visiophonique Zoom à cette adresse :

https://us04web.zoom.us/j/6964965569?pwd=ZlZ6QUs3aDVuSkdxSkIzNllxKzZadz09
ID de réunion : 696 496 5569
Code secret : camecrans
GROUPE A : 10h
Rendez-vous à 10h sur l’interface visiophonique Zoom à cette adresse :

https://us04web.zoom.us/j/6964965569?pwd=ZlZ6QUs3aDVuSkdxSkIzNllxKzZadz09
ID de réunion : 696 496 5569
Code secret : camecrans
1. INTRODUCTION
3. ALAIN CAVALIER
Julie Savelli propose une petite histoire du récit de soi filmé « à la première personne » ou de l’« autobiographie filmée », c'est-à-dire
auto = soi
bio = existence
graphie = écriture, enregistrement.

Julie Savelli ouvre son introduction en rappelant le jugement qui est souvent porté sur ces images à la première personne : on trouve que c’est narcissique (comme le selfie), ou que c’est mal fait, mal filmé, sans style (comme en parlait Richard Bégin). Au contraire, nous allons essayer de montrer avec Julie Savelli ou Richard Bégin, le potentiel esthétique et politique de cette façon de filmer « à la première personne », en particulier par les possibilités inédites données par nos camécrans.

Pour ce faire, je vous propose de découvrir deux cinéastes pionniers du journal filmé : Jonas Mekas et Alain Cavalier. Chacun a leur façon, ils témoignent de leurs vies quotidiennes, en faisant un montage d’images prises sur le vif, au fil de leur inspiration, à la façon de cette « caméra-stylo » dont parle Astruc. Les films qu’ils produisent, une fois montés, peuvent parler à un public étranger à leur vie. Ces images sont certes quotidiennes, elles ont un potentiel banal ou fragile, parfois intimes, mais la vision artistique de ces cinéastes, et la façon qu’ils ont de présenter leurs images, en les agençant d’une certaine façon, et en ajoutant parfois des voix off, ou des titres, réussissent à rendre le film plein d’attraits pour nos regards de spectateurs et spectatrices.

De la même façon je vais vous inviter, à la prochaine séance, à interroger les images de votre journal filmé en prenant du recul sur l’ensemble qui s’accumule.
Julie Savelli rappelle, comme on l’a vu dans l’archéologie du camécrans, que le cinéma, au début de son développement, produit des films plutôt intimes, du quotidien (comme nous l’avons vu par exemple avec Le Repas de bébé, des frères Lumières).

Et puis c’est avec la Seconde Guerre Mondial que l’autobiographie filmée s’impose pour Julie Savelli, d’une part car on se méfie des images du cinéma, qui ne montrent par l’horreur de la guerre, ce qui développe le désir de produire « un autre visible », plus proche de la subjectivité, de l’intériorité du sujet. Comme nous l’avons vu, ce tournant qu’identifie Julie Savelli est également lié à l’histoire de la technique puisque c’est à ce moment que se développe des caméras plus légères qui permettent de filmer seul.

C’est avec ces caméras pellicules légères que Jonas Mekas filme dans les années 1960.
Les camécrans nous accompagnent au quotidien. Légers, maniables, et surtout mobiles, ils permettent de capter le flux du quotidien à un niveau individuel et personnel.

Ces caméras « subjectives » qui s'affirment comme caméras portées par un individu (et non comme incarnation d'un personnage) donnent à voir des récits du quotidien.
Cliquer ici pour voir le cours 4 sur la mobilographie
Cliquez ici pour accéder à la chronologie de Julie Savelli
Je base cette introduction sur une "histoire de l'écran à la première personne", développée par la chercheuse Julie Savelli. Vous pouvez retrouver la frise interactive en cliquant sur le lien ci-dessous.
Cliquer ici pour voir le cours 1 sur l'archéologie du camécran

Regardez ce court reportage sur Jonas Mekas et répondez à la question suivante :

Quels sont les trois principes du journal intime filmé pour Jonas Mekas ?
2. JONAS MEKAS
Dans les années 1960, Alain Cavalier commence sa carrière de cinéaste de façon classique, après une école de cinéma, avec des films de fiction produits avec des équipes techniques conséquentes.
Puis, avec l’arrivée des petites caméras numériques, il commence à filmer seul, pour s’émanciper d’une équipe de production. Il produit une série de trois films autobiographique, où il filme seul : La Rencontre, 1996 ; Le Filmeur, 2001 ; Irène, 2009.

Comme Mekas, les films d’Alain Cavalier tournés avec une petite caméra comme la mini-DV engagent esthétiquement cette même qualité de présence du corps du filmeur avec la caméra embarquée.

Il affirme lors d'un entretien que son film favori serait l’assassinat de Kennedy. Le journaliste tenant la caméra tremble avec les détonations, qui se lisent alors à l’image, faisant du film une preuve attestant du nombre de coups de feu. Ce sont des images que Richard Bégin qualifient de « somatiques ».
4. VOS IMAGES
En 2005, le Forum des Images lance le festival Pocket Films pour valoriser les films tournés au camécran (téléphone), qui transforment leurs possesseurs en potentiels filmeurs. Certains artistes comme Boris Gerrets produisent ainsi des films au téléphone portable comme 'People I could Have Been and Maybe Am'.

Vos images quotidiennes exploitent cette esthétique basée sur une certaine qualité de présence du porteur ou de la porteuse de la caméra, qui se retrouve dans le cinéma d’Alain Cavalier mais qui est aussi reproduit artificiellement dans des mises en scène hollywoodiennes qui visent à créer cet effet de présence, pour donner une valeur d’authenticité aux images. Les films d’horreur notamment basés sur de faux documents vidéos retrouvés jouent sur cet effet ('Projet Blair Wich' par exemple).

De la même façon je vais vous inviter, à la prochaine séance, à interroger les images de votre journal filmé de la même façon en prenant du recul sur l’ensemble des images qui s’accumule. Vous vous poserez les questions suivantes :

- qu’est-ce qui m’a poussé à ce moment-là à filmer ? Qu’est-ce qui a attiré mon regard ? Qu’est-ce que j’ai trouvé beau ou intéressant dans ce moment ?

- est-ce qu’il y a des similarités, des continuités, des répétitions dans les choses que je filme ? Est-ce que, au contraire, je filme des choses très différentes ? Est-ce que les images contrastent entre elles dans leurs thématiques ?

- est-ce que je filme de la même manière ? Quel sont les types de cadre que je produis (gros plan, plan large, plan rapproché, etc.) ?

Puis, vous allez confier vos images aux autres en leur demandant de vous dire ce qu’ils y voient, eux, en tant que regard étranger. Qu’est-ce que ces images racontent pour d’autres observateurs ? Quel est leur potentiel ?

Continuez à filmer cette semaine encore et envoyez moi vos images au fur et à mesure pour que je les répertorie. Le but de la prochaine séance sera de travailler en petit groupe sur vos images.
Pour aller plus loin : cliquez ici pour accéder à l'article de Marida Di Crosta : "Le Partage de l’immédiateté. Le Film-journal Web, forme ultime de l’écriture de soi fragmentaire et récursive de Jonas Mekas ?"

Le filmeur

"À partir de son journal intime filmé en vidéo entre 1994 et 2005, Alain Cavalier nous invite avec humour et sensibilité à une méditation sur la vieillesse, la vie, la mort...
Instants de vie, éclats d’images, il compose une mosaïque où le spectateur est invité à trouver sa place par-lui-même.
"Les premiers plans du film ont été tournés en 1994, au moment où j'ai préféré tenir mon journal intime avec une caméra plutôt qu'avec un stylo. Les dernières images datent de 2005. La vraie difficulté dans le choix et l'organisation des plans, c'était le repérage des non-dits et leur mise en valeur. Quand vous filmez sur le vif, vous ne faites pas de commentaires, vous ne cherchez pas à être lisible, vous vivez. Comme il est normal pour un journal cinématographique, j'ai tourné seul. J'ai rejoint un vieux rêve de metteur en scène devenu cinéaste avant d'être filmeur : me trouver seul avec la personne qui est seule devant mon objectif. C'est une manière d'élargir ma relation avec ceux que je choisis ou qui viennent vers moi. [...]"
























Regardez un extrait de ce film, par exemple à partir de dixième minute jusqu'à la vingtième (10min40 - 19min 40), pour avoir une idée du rythme de ce journal filmé, complètement différent de celui de Jonas Mekas.


Comment Alain Cavalier filme-t-il ? Que filme-t-il ? 
Quelles sont les différences que vous remarquez avec les extraits de Jonas Mekas ? 
Voir un extrait de 'Walden' :
Voilà ce que répond Julie Savelli à la critique narcissique du journal filmé :

« Parler de soi, c'est s'engager dans un processus d'exposition à la fois psychique et physique. Le terme « engagé », venant de « mettre en gage » (ses biens mais aussi sa foi ou sa parole), désigne ici une démarche cinématographique risquée parce que personnelle.
L'image autobiographique a bien un coût existentiel : elle met son auteur à l'épreuve, exigeant de lui une énergie dans le passage à l'acte mais aussi une endurance. Ainsi, chaque plan, chaque parole cherchent à traduire une intériorité par l'invention de formes singulières. »