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26/10/2020
Cours 4
La mobilité du cadre
• Reprise des enjeux du diptyque.

• Projection d'extraits du film de Grégoire Beil, Roman National, 2018.

• Point théorique : la mobilité du cadre (à partir d'une lecture d'article de Richard Bégin).

• Atelier visionnage de rushs.

• Pour le prochain cours : continuez votre journal filmé. Produisez une petite séquence vidéo chaque jour (entre 10 secondes et 30 secondes). Filmez ce qui vous entoure, ce qui vous inspire.
Déroulé du cours (groupe A en présentiel)
Roman National
Adaptation pour le groupe B en distanciel
• Regardez le film de Grégoire Beil, Roman National, 2018.

• Consultez les éléments ci-après sur la mobilité du cadre
(vous pouvez également lire directement l'article de Richard Bégin).

• Envoyez-moi par mail des réponses aux questions ci-dessous :

Grégoire Beil, 2018.
La "mobilographie"
Richard Bégin
Visionnage
Point théorique
"Ce montage de vifs échanges entre jeunes gens via le chat vidéo Periscope passe de la futilité à l’inquiétude lorsqu’une actualité tragique perturbe le quotidien ludique du selfie."
- Comment le réalisateur Grégoire Beil a-t-il procédé pour faire son film?
- Comment comprenez-vous le titre ?
- Quel événement filmé par les streamers surgit pendant l’été 2016 ?
- Comment les streamers traitent-ils cet événement ? Quelle est selon vous la différence avec des médias de masse comme la télévision ?
Questions sur le film
- Qu’est-ce que la mobilographie pour Richard Bégin ?
- Qu’est-ce qu’une image somatique ?
Questions sur le point théorique
Questions sur vos séquences vidéo
- Était-ce difficile de vous contraindre à filmer chaque jour ?
- Quels sont les éléments que vous avez filmé cette semaine ?
• Pour le prochain cours : continuez votre journal filmé. Produisez une petite séquence vidéo chaque jour (entre 10 secondes et 30 secondes). Filmez ce qui vous entoure, ce qui vous inspire.
Aujourd'hui, je vous invite à réfléchir à la mobilité de nos camécrans et au type d'image que cette mobilité produit. Je me base sur un article du chercheur Richard Bégin, intitulé "L'image au corps" (2015). 
Il est disponible en cliquant sur le titre au-dessus ou sur cet encadré.
Dans cet article, Richard Bégin part de la constatation suivante :

Avant la diffusion massive des camécrans, le fan regardait le concert « pour de vrai », ou éventuellement, plus tard, son enregistrement officiel. À présent, il est possible de filmer directement « caméra au poing » le concert et de (très) nombreuses personnes le font simultanément.

Comment expliquer ce désir de filmer le concert ? À quoi servent ces images ? Pour quelles raisons sont-elles faites ?

La thèse de Richard Bégin est que ces images produites par des amateurs, dont le cadre tremble, dont le point n’est pas fait, rendent compte d’une présence, plutôt que d’un événement.

Nous avons vu avec la figure du selfie comment le retournement de la prise de vue vers le visage permettait de s’inscrire dans le paysage, de signaler sa présence dans un lieu donné pour en produire un commentaire expressif. Nous avons vu comment, dans la figure du selfie, le visage au premier plan pouvait dire « j’y étais ».

Maintenant que nous nous intéressons à l’alternance de la prise de vue, au lien entre les deux caméras sur les deux faces du camécran, nous pouvons constater, avec Richard Bégin, une autre forme d’inscription de la présence dans les marques amateurs d’une prise de vue spontanée (comme celle des concerts), qui consiste également à signaler sa présence sur un lieu pour un événement.
La « mobiligraphie », explique Richard Bégin, qui renvoie étymologiquement à l’écriture du mouvement, « est une pratique d’enregistrement audiovisuel permise par les appareils médiatiques portables. ».
Elle est permise par le développement de ces appareils mobiles (que sont notamment les camécrans). La mobilographie ne consiste pas à représenter le mouvement, mais à l’inscrire.
L’enjeu n’est pas de montrer les danseurs qui bougent, mais de bouger avec eux en portant le camécran. Les effets du mouvement s’inscrivent dans le cadre.
la « mobilographie », autrement dit, l’écriture qui se meut ou encore et qui me donne à voir une vision en train de se faire.
LA MOBILOGRAPHIE
1. L'INSCRIPTION DU MOUVEMENT
Cette inscription du mouvement n’est pas nouvelle. Elle peut prendre d’autres formes, par exemple écrite.

Richard Bégin prend l’exemple de Miguel Tibério Pedegache, pendant le tremblement de terre de Lisbonne en 1755.
Son appareil d’enregistrement du mouvement à ce moment-là est une plume trempée dans l’encre et du papier :





On pourrait également penser tout simplement à une prise de note dans un bus en mouvement...
2. LA PRÉSENCE DU CAMÉCRAN
La mobilographie répond au désir d’enregistrer l’expérience certes, mais elle témoigne également d’une certaine relation à l’objet enregistreur, qui exprime sa personnalité technique : en voyant ces images, on comprend non seulement la présence du filmeur ou de la filmeuse qui le tient, l’atmosphère et le mouvement dans lequel il ou elle se trouve, mais aussi nous comprenons la relation qui s’établit avec l’appareil.

Dans la mobilographie, l’appareil s’affirme constamment dans les images, contrairement aux enregistrements où l’on essaye d’oublier la présence de l’appareil, où l’on essaye de ne pas rappeler au public la présence de la caméra, pour qu’il se plonge dans l’histoire, la fiction, les images.
Dans "Abstrakter Film" (2013) l'artiste Birgit Hein pousse à bout l'association du cadre au corps mouvant du filmeur en compilant des séquences vidéo tournées au smartphone alors que les filmeurs qui les tiennent courent pour échapper à des bombardement et des tirs en Syrie, au Yemen, et en Libye. Les images abstraites semblent émaner d'un appareil tenu à lamain. Leur mouvement témoigne de l'à-coup rapide des muscles du corps, et du rythme dramatique de la course. Lorsque l'image s'arrête, c'est que le corps est lui aussi tombé.
Ces images, parce qu’elles témoignent de l’inscription du corps, peuvent être qualifiées de « somatiques » (en grec soma = le corps).

« L’image somatique traduit en termes visuels et sonores ce qui est perçu par le corps, elle permet ainsi au « spectateur » d’éprouver des sensations par procuration ».

Nous produisons également des images somatiques lorsque nous sortons spontanément nos camécrans.










À partir de quand ces images-là peuvent-elles devenir de l’art ? C’est ce que nous allons explorer avec le journal filmé. Nous reviendrons la semaine prochaine sur des films documentaires qui montrent des images somatiques, des « filmeurs », comme les appelle Richard Bégin

Je vais vous demander de revenir sur ces images que vous avez filmé au fil du quotidien, pour réfléchir à ce qu’elles peuvent raconter ensemble, ce qu’elles peuvent exprimer pour d’autres.
L'IMAGE SOMATIQUE
« Quelque chose s’est donc inscrit dans ces images, et ceci ne concerne plus simplement l’événement proprement dit. Ce qui s’est inscrit, c’est une présence qui conjugue à la fois la motilité du spectateur, la portabilité de l’appareil d’enregistrement et la praticabilité de l’espace perçu, au sens où l’entend Henri Lefebvre. J’appelle cette forme particulière d’inscription de la mobilité la "mobilographie". »
« Nombre d’images mobilographiques circulant sur Internet montrent bien peu de choses d’un événement, sinon l’expérience corporelle du "filmeur" en présence de cet événement. [...] Les nombreuses images de séismes, d’attaques terroristes ou de fusillades que l’on peut consulter sur les différents sites d’information ou de « journalisme citoyen » nous apprennent une chose : bien voir est secondaire, dès lors que ressentir l’emporte sur la représentation de l’événement. »
« Pedegache cherche moins à expliquer ou à représenter selon les règles du dispositif journalistique qu’à traduire en mots une expérience physique, sensible et corporelle in situ. »
« N’est pas institutionnellement reconnu bien sûr l’individu qui, muni de son iPhone, enregistre son déplacement et, à sa façon, documente le fait qu’il était là et comment. Malgré cela, ce « filmeur » anonyme, et souvent dénué d’intention poétique, politique ou journalistique, pratique une écriture similaire à celle de Mekas et de Van der Keuken, n’en déplaise au discours institutionnel qui refuse d’y voir là l’expression d’une quelconque démarche. ».